Ode paisible à la douleur


Lorsqu’on cesse d’écrire ce qui nous peine, on crée des sillons qui se transforment silencieusement en crevasses, puis en ravins dans lesquels nous finissons par tomber quand nous nous y attendons le moins.

La peine, la douleur, ce sont des mots synonymes mais pas exactement semblables. Le jour où j’ai compris que mon rôle était entre autres de porter et transformer la douleur des autres, j’ai mis un bandeau sur les yeux de mes propres peines.

Ma peine à moi, est devenue une forme de seau avec un couvercle qui ne s’ouvre jamais. Sauf qu’à force de secouer ce seau, il semble vouloir exploser, et avec lui mon cœur, mon corps et mon âme.

Écouter le récit d’un viol et retomber dans son propre récit de viol. Faire face à cette mort subite, et se rappeler des êtres si chers déjà disparus subitement. Entendre cette femme parler de violence, et se rappeler de la douleur des coups sur son propre visage. Écouter cet homme parler de la fausse couche de sa femme, et avoir à l’esprit cet ange disparu sans avoir vu le jour.

La douleur est inscrite en nous et si nous cherchons bien, même dans nos vies en apparence les plus lisses, on trouvera des oasis insondables de peine, d’actes manqués, de pleurs en silence, et d’éternels recommencements.

Car oui, la vie n’est que cela, éternel recommencement et transformation permanente. Qui ne change pas, se meurt. Qui s’interdit de vivre la douleur pleinement, s’expose encore plus vite à une mort prématurée.

Et qu’on ne se trompe pas : le chagrin d’amour est une douleur. L’ami qui nous trahit l’est aussi. Cette faim qu’on ne peut éteindre faute de moyens, est une douleur. Cette obligation de dormir à la rue en est aussi une. Ce poste auquel on ne sait pas faire autre chose que voler est une douleur. Cette femme qu’on voudrait ne pouvoir tromper mais on fait toujours, est une autre douleur. Ce mari qui nous renie mais qu’on supporte depuis trente ans, c’est une forme de douleur. Cette mère qui nous frappe tous les jours, c’est notre poids.

Les statistiques ne prendraient jamais le dessus de la vie à cet égard. Alors, parfois, sans chichis ni autres falbalas, reconnaissons, acceptons et extériorisons cette peine.

« J’ai mal », « Je suis fatigué », « je voudrais un peu de temps pour moi », « j’ai besoin de bonnes vacances », toutes ces phrases sont des débuts d’acceptation d’un état de douleur, ou de peine.

La société irait tellement mieux si les uns et les autres pouvaient juste le temps d’un moment, s’aimer suffisamment pour vouloir aller mieux. Car oui, reconnaitre sa peine et s’efforcer d’y faire face ou de s’ouvrir, c’est un pas pour accepter que nous gagnerions à ne pas nous renfermer.

D’aucuns pourraient se demander si moi-même j’écris car je vais mal. Je ne saurais me décrire comme allant mal. La vie peut s’avérer bien plus difficile et je rends toujours grâce, pour avoir été en mesure de faire face aux coups qu’on reçoit. Je rends éternellement grâce pour avoir appris à accepter quand j’ai trop tiré et que la corde est en train de lâcher. D’ailleurs, je vis peut-être un de ces moments tout de suite.

Qu’à cela ne tienne, la peine font partie de nos quotidiens. Ne pourrait se dire humain celui qui ne s’est pas senti brisé. Une question peut toutefois se poser sous plusieurs formes. Pourquoi ? Une autre reviendrait assurément : quand cela s’arrêtera-t-il ? On peut se sentir encastré dans un cycle irrésolu de mal-être, de larmes et de difficultés.

J’ai d’ailleurs souvent la sensation que le Cameroun, la Terre qui habite mon être est une victime de ces cycles. L’être ne sait plus y crier son désamour pour la vie et lui-même. Il survit, se tient debout, même lorsqu’il voudrait pouvoir mourir.

Je me rappelle avoir écouté il y a quelques mois l’histoire de cette maman, qui a perdu ses trois enfants et sa propre génitrice, dans un accident de la route. Son récit était sans filtre, aucune goutte ne semblait s’être formé à la lisière de l’œil. Pour être très authentique, j’ai attendu cette lueur de peine. Comment vous dire ? J’avais besoin de me rattacher à une expression de faiblesse pour pouvoir partager son humanité. Mais, pourtant, rien. Est-ce donc ça le deuil ? Devenir incapable de ressentir la douleur ? En même temps, si son Kaba blanc et son calme apparent appelaient à l’interrogation, ses mots ne pouvaient nous tromper sur l’état de son cœur : détruit. Elle survivait, plus qu’elle ne vivait.

Des fantômes ambulants, ainsi pourrais-je décrire un grand nombre d’entre nous. Nous errons, nous marchons sans chemin réel, essayant tant bien que mal de tenir sur cette terre qui ressemble parfois à l’enfer.

Enfer ou pas, c’est notre vie, c’est notre pays, ce sont nos frères et sœurs. Nous aurons toujours le choix, de nous guérir ou de partir à petit feu. Car oui, l’être qui a mal et n’y fait rien, meurt tout doucement.

Comment combler les peines ? Pourquoi 2022 ne nous rend-elle pas ce qu’elle nous a pris ? Il faudrait d’abord s’interroger. Est-ce la seule année où nous avons perdu quelque chose ou quelqu’un ?

Aucune année ne ressemble à une autre mais nos vies ne se prêtent pas. Chaque jour peut être le dernier en réalité. Donc, oui de fait, la douleur doit cesser.

Ma peine, celle de mes amis, celle de ma famille, celle de tout autre personne avec qui je partage le souffle de vie, doit s’éteindre. Il ne s’agit pas de ne plus avoir mal. Il ne s’agit pas d’en faire trop non plus. Il faut juste accepter que toute peine soit le cheminement.

La vie est une succession de vallées. Et dans la dernière des vallées, je me rappellerai toujours ce verset du Psaume 23 (Pour les chrétiens), « dans la vallée de l’ombre de la mort, je ne crains rien car tu es avec moi ».

Oui, il est avec moi, il est avec nous tous. Lorsque vous aurez mal, tout de suite, dans quelques minutes ou encore à demain, rappelez-vous que vous avez le temps de vous poser. Vous avez le droit de souffler, vous avez le droit de prendre le temps de vivre votre douleur. Personne ne vous en voudra, surtout pas moi qui vous écrit.

Que la lumière soit, au-delà de la peine. Que le corps revive. Que le soleil entre dans nos esprits et nos cœurs, et nous irradie de sa gaieté et de sa bonne humeur,

Love, Anna.

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6 thoughts on “Ode paisible à la douleur

  1. I liked this text and the questions it posed. Thank you for sharing it. I have a question, if life is a succession of valleys how does one recognize the valley of death ? Or more precisely, how does makes sure to not confuse all valleys with the valley of death ?

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    1. Thank you Rinel for your feedback. Very good question. I believe we cannot totally see or foresee death. Still, we can make sure to live peacefully and prepared (no negativity, if any thing to transfer, do it while alive) and be less surprised by the outcome of death

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  2. Jai fait le deuil des douleurs depuis que je sais que avoir mal n’est crime sue si on l’accepte pas

    Merci Anna

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