Femme-Triste

Je ne suis plus un objet


En Novembre 2021, j’ai eu l’honneur de faire partie de la cohorte d’écrivaines sélectionnée par l’AWDF pour un atelier d’écriture avec la fantastique Hemley BOUM.

De cet atelier, plusieurs textes ont vu le jour et j’ai choisi ici de partager l’un d’entre eux, intitulé « Je ne suis plus un objet ». Romance ou réalité, partage ou témoignage? Je ne saurai vous dire. Ce qui est certain c’est qu’il apparaissait comme une nécessité, et ne pouvait se raconter qu’à la première personne.

Cependant, je peux vous assurer qu’il est authentique, car dans notre société et ailleurs de nombreuses femmes se sont retrouvées un jour dans cette situation. Pour ma rentrée sur la Case d’Anna, je suis heureuse de pouvoir pleinement et totalement écrire, mais surtout partager avec vous, mes débuts d’auteure.

« 

Les souvenirs que je vous confie m’habitent. Chaque jour, les images se succèdent les unes après les autres. Les émotions m’étreignent alors que je crois qu’elles n’existent plus. Tout ce que je sais, le peu que je comprends, c’est qu’ils sont à l’origine de mon parcours féministe. 

C’était un dimanche soir, il y a plus de dix ans. Les téléviseurs écran plasma étaient encore loin d’être la norme. Je revois ce téléviseur d’un autre temps, tout petit, éteint. J’étais assise à la table de la cuisine, seule, profitant du silence qui régnait dans cette grande pièce. Puis, elle est entrée. Je ne pouvais l’appeler par un autre nom: Maman. Toutefois, j’aurais pu dire “l’étrangère”. A sa façon d’appuyer le sol de tout son poids à chaque pas, j’ai senti la tension en elle. Elle avait cette moue sur les lèvres et le visage plissé. 

J’aurais dû anticiper sur l’acte qu’elle allait poser mais mon esprit s’était déjà éloigné. Elle a hurlé sans prévenir. Une fois de plus, elle se plaignait d’une peccadille. Je m’étais enfermée dans une chambre dans ma tête, pour ne rien entendre. J’attendais qu’elle sorte. Je tapotais le pied sur le carreau froid. Puis, elle s’est adressée à moi. Je l’entends encore: “Tu es là, tu ne dis rien, cela ne t’intéresse pas comme d’habitude”. Ce cri a créé une douleur instantanée partant du ventre jusqu’à la gorge, et en retour je me suis écriée “Maman, pourquoi parles-tu aussi mal? Tu n’en as pas marre?”

En retour, des flèches parties trop vite: “Espèce d’ingrate, continue à insulter ta mère, tes enfants te le rendront. D’ailleurs, commences par ne plus les jeter dans une poubelle”.

 Au moment où elle prononça cette dernière phrase, elle tomba nez à nez avec ma petite sœur Adeline, à peine 13 ans.  Adeline me regarda. Son visage exprimait la peine, l’horreur et l’incompréhension. Aussitôt ma mère sortie, elle se rapprocha et mit ses mains autour de mes épaules. Je tremblais sans pouvoir m’arrêter. Je répétais “pourquoi me déteste-t-elle? Que lui ai-je fait? Perdre un enfant de cette manière, c’est déjà horrible. Pourquoi me le rappeler? Pourquoi?”

Le silence se fit lentement, la petite sœur réconfortant la grande sœur, toutes les deux incapables d’en dire plus. 

Un autre soir, quelques mois avant, je revois l’écran de mon ordinateur, et la page affichée dans mon navigateur. Je suis en train de lire le chapitre 10 des Chroniques d’Eva. Je visualise dans ma tête ce que l’héroïne est en train de vivre et soudainement, à sa place, je vois mon visage.

Dans la scène que je lis, je me souviens des mots “envie, désir soudain. Je revois la phrase “J’avais envie de tous les déshabiller et de les sentir en moi”.

A cet instant, j’arrête de lire. Instinctivement, je plie les jambes sur ma chaise et je pose ma tête sur mes genoux en me parlant avec une voix très douce: “tu as vécu la même chose Irène. Bella a bu ce verre de jus, et tout de suite elle a eu envie de tous leur faire l’amour.

 » Te rappelles-tu de ce studio de 9m2 et de sa salle de bain exiguë aux carreaux marron de saleté? Rappelle-toi. Il disait que c’est toi qui aimait ça. Il te murmurait que tu étais une bête de sexe et tu l’as crue. Assia mama, assia, c’était un viol ma toute belle. C’était le premier. Tu vois, tout avait une raison, tout avait un sens, ce n’était pas de ta faute”.

Puis, je m’arrête, je me dodeline de l’avant vers l’arrière, j’ai soudainement froid, je n’arrive plus à respirer, j’étouffe et devant mes yeux l’ordinateur disparaît. Je ne vois plus que cette salle de bains. Je revois cette ampoule qui semble sur le point de s’arrêter. La lumière est faible. Un premier garçon rentre. Je suis contre le mur, nue et je tends les bras comme si je n’attendais que ça. Puis, il entre, il me chuchote à l’oreille: “c’est très bien comme ça, tu es en feu, j’aime ça. Il observe l’autre qui me touche et lui dit “elle est bonne, n’est-ce pas?”, et il sort. Le film continue devant mes yeux. Je n’arrive pas à sortir de ce souvenir, je les revois tous un par un, jusqu’à la fin, et soudainement tout s’arrête. Je suis toujours assise devant mon ordinateur. Il est désormais en veille et je me vois à travers l’écran. Les yeux rouges, j’ai très mal au bas ventre, et je suis en rage, malgré les pleurs. 

Pourquoi? Pourquoi moi? Je me mords les lèvres pour ne pas crier ces mots et je finis par m’arrêter, lasse. J’éteins la lumière, je me dirige vers mon lit, je rentre la tête sous la couette, je ferme les yeux et j’aperçois quatre lettres : VIOL. 

Je garde de ces deux souvenirs, la colère qui m’étouffe, y penser me secoue et je ressens toute ma révolte d’être enfermée dans ce corps de femme, à cet instant même. J’ai mal pour moi, pour elles et je veux pouvoir sourire, un jour, pour nous.

Pour toutes celles dont le corps est devenu objet. Le corps objet est celui auquel on n’accorde que la valeur attendue par la société. Une femme est faite pour accoucher. Une femme est là pour assouvir les désirs des hommes. Etre femme et aimer le sexe c’est être un objet. 

Le statut de femme se retrouve ainsi défini par des barrières invisibles qui semblent impossible à briser. Violée, insultée, j’ai été enfermée dans cette chosification de mon être. 

Je n’arrivais plus à entendre les pulsations de ma respiration. J’avais la sensation de ne plus être en contact avec mon être profond. Je ne pouvais plus définir ce que je voulais, qui j’étais. J’avançais dans la vie, sans chemin. Il était possible de se noyer rien qu’en tentant de tenir ma main. Ainsi, entrer dans mon monde, c’était partager l’obscurité de mon cœur, la sécheresse de mes pensées. 

Qui voudrait vivre tous les jours en portant un tel poids? Comment se regarder et sourire alors que notre dos pèse et qu’on ne peut que marcher courbé? La dignité d’être humain est-elle ainsi perdue pour toujours? 

Je suis Irène, je suis Alyssa, je suis Hepseda, je suis Hapsatou, Indira, Kendra, Johanna et toutes les femmes du monde. Toutes celles qui ont perdu leur âme, leur être, se retrouvent en moi. Je suis la voix qu’on n’entend plus car elle a cessé de pouvoir s’exprimer.

Regardez-moi, acceptez-moi, je ne suis plus un objet. « 

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8 réflexions sur “Je ne suis plus un objet

  1. Émouvant mais je sais que ce sont des réalités que des personnes vivent et qui ont des conséquences dramatiques pour l’ensemble de la vie et ceux qui la composent et par conséquent il faut s’organiser concrètement pour trouver des palliatifs, puisque des sociétés quasi entières sont zombifiees par ce processus dont hommes et femmes alors il importe de sortir déjà de schéma limitants en apparence tant sur la vision du problème et des solutions à y apporter puisque dans ce phénomène il y’a des femmes aussi elles mêmes qui sont commanditaires ou executantes du phénomène de leur gré ou malgré elles et bien souvent happées dans l’engrenage par une méthode similaire à celle décrite dans ce texte. Il faut désormais beaucoup de courage pour lever la tête, s’organiser etc pour mettre un terme à ce phénomène qui couvre l’organisation méthodique d’une gouvernance masochiste et diabolique des sociétés, alors au lieu de crever pour rien il faut réagir vivement à la pleine lumière pour déjà même banaliser le phénomène et diminuer ou ôter l’importance perverse que cela peut avoir. Je m’arrête ici choqué et outré d’autant plus que des personnes pour lesquelles j’ai pu avoir un grand Amour auraient été impliquées dans de pareils phénomènes soit en victimes, complices ou executantes et il faut désormais sévir sinon la détresse humaine prend un virage dramatique quasi impossible à arrêter désormais. Je suis disponible pour pas mal de choses et en même temps nous devons trouver le courage et la justesse nécessaire pour déjà ne plus alimenter le phénomène de nous même et faire face à cette ultime abjecte et immonde pratique.

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